Plaintes et doléances que le général de la paroisse de Crozon a l'honneur de présenter au roi, en exécution de ses ordonnances, pour remplir les vues bienfaisantes de Sa Majesté.
La pêche de la sardine est la pépinière des matelots. Elle intéresse l'Etat ainsi que le particulier. La majeure partie de la paroisse s'y adonne. Elle en pourrait vivre si l'on détruisait le monopole qui se commet dans la revente de la rogue. Les riches accaparent les cargaisons danoises, revendent la rogue aux pêcheurs le prix qu'ils veulent, ils surhaussent le prix quand la pêche donne ; ils n'ont d'autres bornes que leur cupidité ; ils attirent à eux tout le profit de la pêche et ne laissent aux pêcheurs que la peine du travail qui les réduit à la misère, ils envoient leurs agents à Bergens pour accaparer les rogues.
Le franc-fief détruit l'agriculture dans toute l'étendue de la paroisse. On y taxe la roture comme les nobilités, malgré que les aveux des vassaux hors d'impunissement portent en termes formels la qualité roturière, malgré l'imposition des fouages. On se pourvoit à l'intendance, on y obtient décharge. Le traitant se pourvoit au Conseil, il surprend arrêt sur défaut qui casse l'ordonnance, sur le prétexte que l'aveu du seigneur au roi porte que toutes les terres relèvent de son fief à foi et hommage. On va taxer le bourg de Crozon parce que le seigneur dans son aveu au roi l'a qualifié de bourg noble, malgré que les aveux des vassaux hors d'impunissement portent qu'ils relèvent roturièrement. Le général attend de la bonté paternelle du roi qu'il plaira à sa Majesté ordonner le rapport des sommes payées sur les rotures.
Le contrôleur refuse de contrôler des délibérations ; il force de porter le cahier au bureau. Les arrêts de règlement ordonnent de le déposer dans des archives, la délibération finie. Le bureau n'est pas ouvert le dimanche. Les jours de semaine, le fabrique est chez lui éloigné du bourg. Le procureur ne peut pas être dans toutes les paroisses. Le général est fort gêné.
La paroise de Crozon est une grande étendue. Elle a seize fillettes. Il faudrait seize prêtres pour la desservir, afin d'avoir une messe matinale dans chaque succursale. La disette de prêtres prive plusieurs trèves de messes matinales. Cette disette provient de la pauvreté des paroissiens et du peu de rétributions qu'ils perçoivent de l'église paroissiale. Ils sont réduits à quêter pour vivre, ce qui est à charge au public. Le bénéfice est cependant considérable, il produit annuellement 10 000 livres. Le bénéficier ne paie qu'un vicaire seul, qui ne peut pas voir tous les malades. Le bénéficier n'y va pas. Les prêtres sont jour et nuit sur pied et n'ont pas de quoi vivre.
L'imposition aux fouages, la corvée des grands chemins et la capitation accablent la paroisse.
La corvée féodale la tyrannise. On force aux charrois des matériaux pour le château, le for et les moulins. On ne nourrit point les corvéables ni leurs bêtes, et, à la fin de l'année, on fait payer 12 livres de corvées par chaque tenue.
Le fisc fait payer 12 livres pour frais d'un exploit donné sous les lieues, en paiement de rachat, de lods et ventes et de chefs-rentes, malgré qu'on vienne satisfaire avant évocation de cause.
Il a un arpenteur affidé qu'il envoie mesurer les terres quand on paie les rachats ou quand on fournit aveu. Il prend 6 livres par jour pour cet arpenteur qui ne prenait précédemment que 3 livres.
Il a un sergent affidé à qui il remet sept à huit exploits pour notifier en même temps. Les sergents négligent de porter fidèlement les copies.
Il impunit les aveux pour un seul mot de pure forme, il prend jusqu'à 50 livres pour tracer seulement ce mot sur les aveux.
Quand on porte la chef-rente en grains aux magasins, on la refuse et on fait payer 12 livres le boisseau froment, mesure de la seigneurie, quoique l'apprécis ne porte qu'à 8 livres 10 sous.
Les procureurs, quand le juge ne taxe pas leurs vacations, font des mémoires enflés ; ils surpassent d'une moitiéla taxe des dépens. Les notaires n'ont pas de règle ni de modération dans leurs vacations. Le roi soulagerait son peuple, s'il plaisait à Sa Majesté défendre à tous procureurs et notaires de rien exiger ses parties que d'après un mémoire taxé par le juge ou par un avocat en son absence, à l'exclusion du procureur fiscal et des procureurs, pour éviter la collusion.
Taniou de Kernavalen, Stéphan, JeanBornic, Louis Postic, Alexis Herjean, Jean Herjean, Mathieu Téphany, Yves Le Mons, Yves Priset, Allain Stephen, H. Corp, François Ely, Jean Ollivier, Pierre Le Mignon, Du Moulin – sénéchal, Téphany – régisseur.
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Les cahiers de doléances des communes de la presqu'île de Crozon se ressemblent énormément à quelques détails locaux près. Les électeurs désignés pour la rédaction des cahiers, émanant de la population illettrée et bretonnante a sans doute été orientée par un rédacteur probablement un magistrat local.
Les électeurs, représentant les habitants de Roscanvel font inscrire dans leurs cahiers :"Toute personne privilégiée [Noblesse et Clergé NDLR] ne paie la pinte d'eau-de-vie que 30 sols, tandis qu'un laboureur la paye 50 sols." Le prélèvement allait uniquement aux agents de la ferme qui achetaient l'alcool en gros pour faire baisser les prix et afin d'être bien vus par les classes dominantes, procédaient à des différenciations de prix de revente.