Coupe simplifiée du fort de Crozon.
1 Contrescarpe – 2 Douve/fossé –
3 Escarpe – 4 Allée de circulation interne au fort
– 5 Casernement – 6 Cour centrale – 7 Tunnel
– 8 Caponnière.
C: Casernements. 2 grands bâtiments pour la troupe
qui loge par chambrées (nb total : 21) dans de grandes salles voutées
au rez de chaussée + 1 petit bâtiment pour les officiers.
H: Un hangar au Nord, un autre au Sud.
P: Les rectangles noirs sont des poudreries recouvertes d'une forte couche
de terre et de déblais qui amortit les projectiles non explosifs.
Les avancées dans les fossés sont des caponnières
(1 simple et 2 doubles) comportant de l'armement léger (canons révolvers
et canons de 12 à culasse) pour tirer sur un ennemi infiltré dans les
fossés qui tenterait d'installer des échelles ou des échafaudages pour
s'introduire dans le fort.
Douves (mise en eau artificielle) ou fossés secs ? La venue des eaux de
ruissellement favorisait des mises en eau aléatoires qui transformaient
les fossés secs en marécages avec parfois des allures de douve par forte
pluviométrie. Des photos de la seconde guerre mondiale montrent les inondations.
La défense terrestre de la presqu´île de Crozon est basée
sur l'élévation de plusieurs forts du 19ème siècle dont les conceptions
divergent selon l'évolution des principes de construction qui elle-même
répond à l'évolution des armements. Les forts de Crozon et de Landaoudec
sont de la même génération dite Séré de Rivières de type 1874 très précisément.
Le nouveau "Vauban", général du génie militaire du 19ème siècle a pour
mission de défendre la France partout où cela est jugé nécessaire par
des fortifications modernes – 166 forts construits en une décennie à la
pelle et à la pioche pour 2.5 millions à 4 millions de francs or en moyenne
chacun. Le fort de Crozon est un point de défense de d'artillerie en ligne
en plein cœur de la presqu'île et c'est aussi un casernement pour les
troupes mobiles (mitrailleuses et canons légers de campagne attelés) qui
seraient éventuellement amenées à sortir du fort et à attaquer un ennemi
qui aurait débarqué sur les plages Sud de la presqu'île de Crozon. Ces
troupes d'action rapide cantonnent en forteresse, tout comme les artilleurs,
et ceci uniquement en cas de troubles géopolitiques avérés.
L'adjudication des travaux revient à l'entrepreneur Félix Mandement de
Grenade-sur-Garonne en mai 1883 et les travaux commencent en juin. Le
manque d'ouvriers se fait sentir immédiatement, il en faut des centaines
ayant des compétences. Les meilleurs ouvriers Crozonnais sont occupés
sur d'autres chantiers militaires y compris deux du Sieur Mandement (Forts
du Kador
et de Landaoudec). Les ouvriers itinérants le sont aussi. L'entrepreneur
pris par les délais en vient à recruter des ouvriers étrangers dont quelques
dizaines d'Italiens, ce qui ne manque pas d'inquiéter les autorités militaires
qui craignent les espions. Environ 300 ouvriers sont à pied d'œuvre dont
1/3 d'itinérants Français, 1/3 de Crozonnais, 1/3 d'ouvriers non déclarés,
spécialisés ou étrangers (parmi-eux du personnel d'intendance ou ayant
une tâche limitée dans le temps). Progressivement les effectifs vont se
stabiliser grâce aux ouvriers qui vont œuvrer à Landaoudec, au Kador et
à Crozon parallèlement. L'entrepreneur fait construire pour 8000frs de
baraques de chantier à titre de logements et de cantine. Les habitants
de Crozon s'insurgent, ils ont l'habitude de loger les militaires et apparentés,
chez eux durant les manœuvres et les chantiers afin de percevoir des loyers
dont certaines familles vivent. L'entrepreneur renonce à toute initiative
personnelle et pratique la location qui lui revient plus cher. Les ouvriers
vont aussi dans les commerces, tout le monde y trouve son compte.
L'apport des matériaux est un autre sujet de préoccupation. La quantité
de pierres nécessaire est monumentale et fait appel aux carrières régionales
telles celles de l'Aber-Ildut, de l'Île Longue... Cela ne suffit pas.
Des carrières sont ouvertes à proximité du chantier pour les pierres les
moins nobles : le grès armoricain est extrait partout où il y en a avec
plus ou moins d'autorisation parfois. Pour le sable, il était prévu qu'il
vienne de Douarnenez. Trop loin, trop long, l'entrepreneur fait construire
une voie ferrée minière de la plage de Morgat au chantier du fort. Il
entreprend des prélèvements de sable de plage dans des quantités phénoménales
que des paysans chargent dans des wagonnet, bien content de percevoir
des rémunérations non négligeables. Par contre la voie ferrée n'est pas
appréciée par des cultivateurs qui voient leurs champs coupés en deux.
Il y eut quelques sabotages. Des dessous de table et des accords plus
ou moins enregistrés résolvent les réticences. Le commissaire de l'inscription
maritime contraint l'entrepreneur à abandonner les prélèvements illégaux
de sable, le stock déjà entreposé permet d'avancer en attendant d'autres
livraisons conforment. Un chaland, "L'Armoricain", assure le transport
du sable douarneniste en étant tiré par le vapeur "Stiff". Le chaland
fait naufrage le 10 février 1884 sur les rochers de la Pointe des Grottes
Portzic/Postolonnec.
Malgré tous les aléas, le chantier s'achève en 1886. Très mauvaise année
pour la défense militaire française. L'ingénieur Eugène Turpin met au
point un obus cylindro-ogival en acier chargé de mélinite. L'obus est
de type explosif brisant et anéanti les structures Séré de Rivières en
quelques explosions. Pour comble de l'absurde, le fort de Crozon est élevé
sur la colline la plus visible qui soit. Une marine hostile grâce à des
canons embarqués équipés des nouveaux obus brisants est susceptible de
pulvériser le fort à vue même si aucun bâtiment n'est visible, la silhouette
tumulaire est une cible aisée qui se distingue de très loin. A Brest,
des officiers supérieurs marquent leur désenchantement mais les dégâts
de la crise de l'obus torpille sont tels qu'il n'est plus temps de renâcler.
L'ensemble des défenses de la presqu'île, pour certaines neuves, sont
inopérantes.
A noter que malgré la déconvenue stratégique, l'entrepreneur ne perd pas
le nord et met en vente le matériel du chantier dans des annonces de presse.
Ainsi trois tombereaux et trois charrettes sont mises en vente le 20 décembre
1887 pour enfin en finir avec le chantier inutile.
Après des années de tergiversation stratégiques, les états-majors se mettent
d'accord sur un point, il faut du béton. Les moellons hourdis sont trop
fragiles. Le béton est introduit comme élément de base après des essais
de 1897. Le principe est de recouvrir les ouvrages qui le permettent d'une
épaisse couche de sable et par-dessus cela serait coulé une couche de
béton de 2 mètres d'épaisseur. Au vu des projections financières, les
commissions de défense de 1899 imposent les bétonnages sur des ouvrages
majeurs à l'Est de la France. Crozon devient secondaire. On insère des
soutes à munitions bétonnées dans quelques sites (Kador par exemple).
On met une couche de béton sur quelques toitures terrasses et rien de
plus. En 1902, le fort de Crozon est équipé d'une soute bétonnée, tout
le reste est maintenu en l'état. Les préconisations d'enrober de béton
les caponnières ne sont pas mises à exécution faute de moyens.
Le fort de Crozon servira de caserne pour les régiments en mission ou
en manœuvre, puis de prison (comme tous les forts de la presqu'île). Lors
de la seconde guerre mondiale, l'armée allemande l'occupe pour des fonctions
similaires de casernement, de prison, de stockage de matériels, le code
radio est "Cr19"...
Artillerie
de place du fort de Crozon prévue à la construction :
5 canons-révolvers 40mm Mle 1879 + 5 canons de 12 à culasse pour les caponnières.
4 canons de 90mm Mle 1877 système de Bange dans le fort.
Batterie externe "orientation Dinan" 3 canons de 155mm longs Mle 1877
système de Bange + 4 canons de 95mm Mle 1875 système Latiholle. Batterie
externe "orientation Morgat" 3 canons de 155mm longs Mle 1877 système
de Bange. Batterie externe "orientation Tal-ar-Groas" 6 canons de 120mm
longs Mle 1878 système de Bange.
Le seul armement resensé en 1940 est constitué de 4 canons de 95mm
Mle 1888 en réserve, positionnés dans le fort. Des soldats Allemands
sont pris en photo s'amusant avec ces canons de l'armée française oubliés
sur place.
Différents régiments ayant transité au fort de Crozon, liste non exhaustive.
Le 19e RI et le 118e RI
furent des occupants réguliers du fort.
Exemple : le 4ème bataillon du 118e régiment d'infanterie de Quimper occupe
à l'année le fort à partir de 1897.
En 1914, le dispositif est conforme aux recommandations des commissions
de défense. Sont présents parfois quelques semaines seulement :
- 6e 9e 11e 12e compagnies du 87e
RIT
- 2e batterie territoriale du 3e
RAP
- 42e batterie du 1er RAC
- 7e escadron du 2e chasseurs
- 2e compagnie du 11e BTG (Génie)
Le départ pour la guerre sur le front de l'Est s'échelonnera sur le mois
d'août, la ligne
de défense intérieure sera jugée inutile.