Les quais de Camaret-sur-Mer ce que l'histoire du port raconte

Durant des siècles le port de relâche de Camaret imposait que l'on échouât les embarcations sur un large lit de vase qui allait jusqu'aux limites des maisons de conserveries et pressages traditionnels qui correspond aujourd'hui au second rang de construction. L'activité portuaire s'étant accrue, les quais devinrent une obligation pour accueillir des bateaux plus grands, plus chargés. Faute de moyens financiers, la commune dut fractionner les aménagements sur des décennies. En retrait des quais, un nouveau rang d'immeubles fut élevé pour des commerces plus variés et les premiers hôtels au succès considérable.

Le quai Louis-Auguste Téphany

La criée sur le quai Louis-Auguste Téphany.

Les 150 langoustiers du port de Camaret-sur-Mer des années 1930 ont toutes les peines à débarquer leurs pêches sur les quais qui longent la commune. Une zone portuaire est projetée à grand renfort de béton et d'enrochement dans le prolongement du quai Kléber pour un budget prévisionnel de 7.5 à 10 millions de francs selon les sources.

Une fois le port dragué, les 37000m² de terre-plein sont développés de 1949 à 1955. L'inauguration du 7 août 1955 dévoile le nom choisi : le quai Téphany (Louis-Auguste), du nom du maire de Camaret de 1935-1944, instigateur du projet. Un quai de 320 m de long, 10 mètres de haut et deux digues bordent la zone où les contenus des dragages d'un volume de 62000m3 comblent le cœur de la plate-forme sur laquelle sont construits des viviers (Edouard Millet et Marée Camarétoise) très rapidement, une fabrique de glace est ajoutée en 1960 ainsi qu'une criée. Des installations qui se justifient tant la pêche de la langouste semble être intarissable. La fin des Mauritaniens (bateaux) plonge Camaret dans l'incertitude. Les pouvoirs publics tentent de rapprocher les Camarétois de la pêche aux poissons côtiers en rénovant la criée en 1988.

La pêche est moribonde. Une criée est ouverte à Brest en 1992. La criée de Camaret-sur-Mer n'ouvre que deux jours par semaine, les volumes de vente des produits de la mer sont aléatoires, voire anecdotiques, la criée ferme en 1994 alors qu'elle n'est déjà plus aux normes. Progressivement la plaisance prend pied sur le quai Téphany.

2006 : l'ancien vivier Edouard Millet devenu Brest Ouest Marée est balayé par une tempête...

2011 : la criée intéresse deux sociétés d'aquacultures pour des projets de culture de crevettes bouquets et de pétoncles noirs pour l'une et d'ormeaux pour l'autre... Au final la criée accueille une entreprise de culture de coraux pour aquariums jusqu'à fin 2023. Avec une autre entreprise (2013), une écloserie qui élève "moules et huîtres" de Camaret. L'usage du nom de la commune est avalisé par la municipalité. Fin d'activité en 2017.

2021 : Projet d'installation d'une société de culture d'algues alimentaires... Mise en production prévue en 2023. La municipalité se satisfait du rejet d'eau de mer de haute qualité dans l'anse de Camaret-sur-Mer facilitant la lutte contre les nitrates.

2022 19 septembre : visite d'une sénatrice à Camaret qui prend connaissance du projet de culture d'algues.

2022  16 novembre : visite du préfet et déclaration publique de la municipalité pour une rénovation du bâti et adjonction de panneaux solaires sur le toit.

2023 : la société de culture des algues est rachetée sans avoir réellement exercé.

Ensuite, la criée et ses parcelles cadastrales de 8107m² sont classées "friche industrielle".

Friche industrielle

La loi « Climat Résilience » du 22 août 2021 ouvre l'action publique à l'évolution de l'urbanisme vers Zéro Artificialisation Nette (ZAN), à ce titre, la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives contribue à réemployer des bâtis à l'abandon pour les adapter, par des travaux, à de nouveaux usages du type logements, activités commerciales, culturelles ou autres...

Code de l’urbanisme article L. 111-26
Une friche : « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables ». 

Pour éviter les interprétations le législateur (Journal Officiel) circonscrit la notion de friche par :
Décret n°2023-1259 du 26 décembre 2023 - art. 1
Article D111-54
I.-Pour identifier une friche au sens des critères prévus par l'article L. 111-26, il est tenu compte notamment de l'un ou des éléments suivants :
1° Une concentration élevée de logements vacants ou d'habitats indignes ;
2° Un ou des locaux ou équipements vacants ou dégradés en particulier à la suite d'une cessation définitive d'activités ;
3° Une pollution identifiée pour laquelle son responsable ou l'exploitant du site, son ayant-droit ou celui qui s'est substitué à lui a disparu ou est insolvable ;
4° Un coût significatif pour son réemploi voire un déséquilibre financier probable entre les dépenses d'acquisition et d'interventions, d'une part et le prix du marché pour le type de biens concernés, ou compte tenu du changement d'usage envisagé, d'autre part.
II.-L'aménagement ou les travaux préalables au réemploi d'un bien au sens de l'article L. 111-26 s'entendent comme les interventions permettant la remise en état, la réhabilitation ou la transformation du bien concerné.
Une activité autorisée à titre transitoire avant un réemploi prévu n'est pas de nature à remettre en cause la qualification d'une friche.
III.-Ne peuvent être considérés comme des friches au sens du présent code les terrains non bâtis à usage ou à vocation agricole ou forestier.

Au niveau national, en 2023, l'administration* répertorie 9788 friches industrielles selon le cadre juridique en cours. Et parmi cette longue liste on peut y découvrir la classification de l'ancienne criée du port de Camaret-sur-Mer sur une surface totale de 8107 m² disposant d'un appel à projet fonds vert 2023 – 29022_28937. C'est la seule friche industrielle de la presqu'île de Crozon qui compte cependant de nombreux anciens bâtis d'entreprises fermées mais qui sont du domaine privé.

La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte favorise l'aide à la concrétisation des mutations des friches industrielles en aménagements utiles.

Le Catalogue de la bibliothèque de l'ensa Nantes – L'école nationale supérieure d'architecture de Nantes, archive cote : 2010 PFE CAILLAUD, propose une note dont voici un extrait : « L'enjeu de ce projet est de transformer l'ancienne friche portuaire de Camaret-sur-mer en un lieu urbain, un pôle attractif connecté au tissu existant. En requalifiant l'espace portuaire, il s'agit de révéler le patrimoine industrialo-portuaire, tout en y dynamisant les logiques d’espaces et de parcours. Le projet architectural prévoit la réhabilitation de l’ancienne criée de la friche portuaire pour en faire un espace de convivialité tout en conservant l'identité industrialo-portuaire de l'édifice... »

Enoncé d'un nouveau projet sur le ton de la rumeur diffuse : création d'un marché couvert...

La criée de Camaret-sur-Mer fut construite sur une illusion de prospérité. Mal née, elle poursuit sa survivance en cherchant une utilité pérenne qui tarde à venir.

* Cerema – Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement sous la tutelle des ministres de la Transition écologique et solidaire, et de la Cohésion des territoires.

Quai Kléber en Camaret-sur-Mer

Ancien perré qui va être recouvert par le nouveau.

Une ligne de palplanches délimite le quai du domaine maritime.

Le nouveau quai Kléber à l'épreuve d'une grande marée calme.

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Dans sa topographie d'origine, le rivage en lieu et place du quai Kléber, était un loch (nom d'origine celtique signifiant étang du littoral vaseux et peu profond), une zone humide marécageuse constitué d'un étang de 5 hectares nommé Pen-ar-Pont dont les excès d'eau gagnait la mer par un large estuaire vaseux. En passant par la côte, les Camarétois devaient attendre la marée basse et sautiller sur les cailloux élevés pour garder les sabots au sec. Cette configuration était connue en plusieurs points en presqu'île de Crozon : Morgat, Kervian en Roscanvel... Chacun son loch. Tant qu'il n'y avait qu'une faible activité économique et une vie en autosuffisance, les habitants s'en accommodaient.

Sur cet estuaire fut construit un moulin à eau et à vent, cela assurait au meunier une énergie motrice quasi constante pour moudre les céréales. A cette occasion, l'estuaire avait été restreint à un canal à clapet en pierres, afin de donner de la puissance au passage des eaux. Les pêcheurs quant à eux échouaient leurs barques sardinières au plus haut pour fournir les magasins de transformation de la commune. L'étang était asséché pour créer des zones de cultures maraîchères mais aussi des lotissements car la population augmentait grâce à la pêche, seul le ruisseau était préservé.

L'activité portuaire en forte croissance imposa la création de quais mais par manque de moyens financiers, la municipalité fit au plus simple en créant le quai Gustave Toudouze sans se préoccuper du loch. Ce dernier vit apparaître progressivement un chemin digue. Le rivage fut empierré abondamment tout en laissant passer les eaux d'écoulement . A force de patience, ce qui n'était qu'un chemin surélevé devint une route digue qui enfin n'était plus submergée à marée haute (1868). Les charrettes et autres attelages pouvaient circuler tant bien que mal mais derrière cette digue, côté terrestre, une zone marécageuse récupérant des eaux souillées des sardineries causa un problème sanitaire d'autant que les usines de conserveries de sardines arrivèrent, et les eaux de lavages devaient être évacuées à la mer au plus vite. Le port lui-même nécessitait un approfondissement de ses eaux car les barques sardinières s'allongeaient. Les pierres du fond du port remblayèrent l'arrière digue transformée en place. Les eaux usées étaient guidées par canalisations métalliques souterraines. Ce ne sera qu'en 1931 que commenceront, par tranches, la réalisation d'un quai qui épousera la courbe du port pour lier le quartier des Quatre Vents au quai Gustave Toudouze. Fin des travaux 1943, en pleine seconde guerre mondiale.

Depuis 1996, les signes apparents de faiblesse du perré du quai (habillement des pans du quai par des pierres) n'ont fait que croître. Ajouté à cela les débordements de la mer, lors des forts coefficients de la marée et des tempêtes conjuguées, nécessitaient une reconfiguration du quai nommé Kléber sans doute appelé ainsi en mémoire du croiseur cuirassé coulé par une mine allemande alors qu'il rentrait sur Brest. Parmi les 42 victimes, un marin Alain Mercier (1888-1917), quartier maître chauffeur, habitant à Camaret-sur-Mer y avait perdu la vie.

Quai Gustave Toudouze en Camaret-sur-Mer

De 1842 à 1845, sont enfin construits des quais à Camaret-sur-Mer dont l'activité portuaire croît sans les facilités de déchargement utiles à des bateaux toujours plus grands. Jusqu'ici les pêcheurs devaient échouer leurs embarcations et parcourir à pied l'estran pour enfin atteindre les maisons du port en retrait. Les maisons du front de mer n'existaient pas alors car il eut été dangereux de construire à cause des submersions possibles.

La jonction avec le quartier du Styvel ne se fera qu'en 1895.

Le quai permet d'installer le poumon économique de Camaret entre hôtels et maisons d'armateurs en front de mer.

En 1900, la municipalité remercie le poète Gustave Toudouze d'être venu en aide aux pêcheurs de sardine connaissant la famine pendant la crise sardinière. De l'argent personnel du romancier et celui de collectes ont permis d'aider les Camarétois en détresse qui ont connu, comme tous les pêcheurs de la région, les distributions aléatoires de pain. Le quai porte donc le nom du protecteur, un "parisien" qui est venu vivre à Camaret et qui a contribué à initier la commune à une vie artistique avec des amis artistes venus eux-aussi de Paris. Cette période reste rayonnante à jamais.